jeudi 24 janvier 2019


Auteur : Holly Smale
Le résumé du livre :
Je m'appelle Harriet Manners et je déteste la mode. Sincèrement. Je préfère savoir que lors d'un éternuement, tous les organes s'arrêtent, le cœur compris, qu'une cuillerée à café d'étoile à neutrons pèse des milliards de tonnes, ou que le merle bleu ne voit pas la couleur bleue. C'est sûrement pour ça que je n'ai pas beaucoup d'amis et qu'un "fan" a écrit GEEK au marqueur rouge sur mon sac. Alors que feriez-vous à ma place si une agence de mannequin vous repérait ? Et vous proposait de passer de geek à... chic ?

Mon avis :
Le personnage principal est Harriet Manners, une adolescente "intello", qui a du mal à se faire des amis. Sa meilleure amie, Nat est son opposé : elle vit pour la mode !💅 A partir du jour ou Harriet a accompagné Nat dans une agence de mannequinat, sa vie bascule. Elle qui a l'habitude de tout prévoir avec des schémas et des plans va vite comprendre qu'il faut changer de méthode quand on rentre dans le monde de la mode...😵 On s'attache vite a Harriet, à cause de ses gaffes, même si elle a un côté "madame je sais tout" un peu énervant. Son entourage, les personnages secondaires sont tout aussi prenant : Toby son harceleur personnel, un père fantasque, une grand mère originale qui débarque quand on ne s'y attend le moins...Le seul petit point négatif est le manque d'action, il ne se passe pas grand chose.

Extraits :
1. « Je tiens mon prénom, l'informé-je sur un ton aussi digne que possible, d'Harriet Quimby, la première femme pilote américaine et première femme à avoir traversé la Manche aux commandes d'un aéroplane. Ma mère l'a choisi pour évoquer la liberté, le courage et l'indépendance, et elle l’a prononcé juste avant de mourir. »Il y a un bref silence. Wilbur prend l'air peiné qui convient. Puis c'est papa qui parle.
« Qui t'a raconté ça ?
– Annabel.
– Mais ce n'est pas vrai du tout. Tu tiens ton nom d'Harriet la tortue, la deuxième tortue la plus âgée au monde. »

2. " J'en connais un rayon en histoire et en magie- grâce à la lecture de nombreux livres ainsi qu'à ma fréquentation de certains forums sur Internet -, et la règle de base, c'est qu'il faut que ça vous tombe dessus par surprise. Personne n'a jamais sauté dans une armoire pour trouver Narnia : ils ont sauté dedans parce que c'était une armoire ordinaire. Harry Potter se prenait pour un garçon comme les autres. Mary Poppins était censée être une nounou normale. C'est la première et la seule règle : la magie arrive quand on ne la cherche pas. "

lundi 24 décembre 2018

Lucien



Lucien (Claude Bourgeyx)

Lucien était douillettement recroquevillé sur lui-même. C’était sa position favorite. Il ne s’était jamais senti aussi détendu, heureux de vivre. Son corps était au repos, léger, presque aérien. Il se sentait flotter. Pourtant il n’avait absorbé aucune drogue pour accéder à cette sorte de béatitude. Lucien était calme et serein naturellement ; bien dans sa peau, comme on dit. Un bonheur égoïste, somme toute.

La nuit même, le malheureux fut réveillé par des douleurs épouvantables. Il était pris dans un étau, broyé par les mâchoires féroces de quelque fléau. Quel était ce mal qui lui fondait dessus ? Et pourquoi sur lui plutôt que sur un autre ? Quelle punition lui était donc infligée ? « C’est la fin », se dit-il. Il s’abandonna à la souffrance en fermant les yeux, incapable de résister à ce flot qui le submergeait, l’entraînant loin des rivages familiers. Il n’avait plus la force de bouger. Un carcan l’emprisonnait de la tête aux pieds.
Il se sentait emporté vers un territoire inconnu qui l’effrayait déjà. Il crut entendre une musique abyssale. Sa résistance faiblissait. Le néant l’attirait. Un sentiment de solitude l’envahit. Il était seul dans son épreuve. Personne pour l’aider. Il devrait franchir le passage en solitaire. Pas moyen de faire autrement. « C’est la fin », se répéta-t-il. La douleur finit par être si forte qu’il faillit perdre la raison. Et puis, soudain, ce fut comme si les mains de Dieu l’écartelaient. Une lumière intense l’aveugla.
Ses poumons s’embrasèrent. Il poussa un cri.
En le tirant par les pieds, la sage-femme s’exclama, d’une voix tonitruante :
« C’est un garçon ! ». Lucien était né.

Phénomène

Phénomène (DFM)

Je suis une vedette maintenant ! Je passe de télés en radios, tout le monde parle de moi, je suis le nouveau phénomène ! Pourtant je ne chante pas, je ne joue pas la comédie, je n’ai sauvé personne d’un immeuble en flammes, et n’ai battu aucun record sportif. Je n’ai aucun talent particulier à part peut-être celui d’imiter Léon Zitrone, mais ça fait quand même plus de vingt ans qu’il est mort et plus personne ne se souvient de lui, donc... Donc qu’ai-je fait pour trôner ainsi en haut des médias ? Rien. Enfin pas grand chose, et rien de volontaire.
Je ne dors plus la nuit. Voilà ce qui me vaut tous ces honneurs. Je ne dors plus du tout, du reste. Ni la nuit, ni le jour. Waouh ! tu parles d’une nouvelle ! La presse est bien mal en point, et les télés en panne, si c’est tout ce qu’elles ont à nous raconter. Un homme qui ne dort pas ! Voilà qui va nous tenir éveillés !

En réalité ce qui provoque un tel engouement autour de ma personne n’est pas que je ne dorme pas. 
Non, c’est surtout dû au fait que cela n’affecte en rien ma santé. Je ne dors plus, et cela ne me gêne en rien.
Mon métabolisme semble s’y être accoutumé. Je ne me rappelle même plus aujourd’hui quand tout cela a démarré, mais le fait est que maintenant c’est bien installé. Je vis le jour comme tout le monde. Enfin jusqu’à récemment je vivais comme tout le monde. J’ai été forcé de me mettre en disponibilité, car des journalistes venaient jusque dans mes classes pour m’observer et me poser des questions.
J’ai un travail, des amis, rien qui ne me fasse sortir de l’ordinaire. 

Mais la nuit je ne dors pas. J’en ai parlé à mon médecin. Au début, il m’a dit de ne pas y prêter attention, et que si je ne dormais pas une nuit je dormirai sans doute mieux et plus longtemps celle d’après. Au bout d’un mois, j’ai pris peur, et je suis retourné le voir pour lui en reparler, et là sa réaction a radicalement changé.
Il m’a immédiatement orienté vers un centre du sommeil d’une part et un neurologue d’autre part.
Tous les deux m’ont harnaché de capteurs, et de masques divers, et m’ont fait passer des batteries de tests. J’étais en pleine forme. J’ai quarante ans, je ne fume pas, et je fais pas mal de randonnées, je n’en espérais pas moins, mais je ne dormais pas, et comme je le leur avais dit, je ne ressentais aucun contrecoup à ce manque de repos. Je crois que c’est le neurologue qui a publié quelque chose le premier. Ensuite l’info a été reprise par une agence.

C’est à ce moment que tout s’est emballé. Je suis devenu une bête curieuse pour la médecine, la science, et les médias en général. Un nouveau prototype humain, une sorte de mutant. L’homme de demain pour les uns, un menteur, un canular monté de toutes pièces, pour les autres. Un homme qui ne dort pas et qui n’est pas fatigué, ça n’est pas possible. 
Ce type est un usurpateur, un simulateur, rassurez-vous messieurs dames ceci n’existe pas. Quand on vous dit qu’on trouve n’importe quoi sur internet... 
Néanmoins en peu de jours je me suis retrouvé à passer d’une télé à l’autre, de JT en talk shows, à essayer de répondre à des questions saugrenues. Des gens m’arrêtaient dans la rue pour me prendre en photo avec eux, d’autres me demandaient des autographes... J’étais devenu célèbre !
Les militaires se sont rués sur moi.
Imaginez, un homme qui ne dort pas et qui n’est jamais fatigué ! Le soldat ultime ! La perfection a un nom : François Durable ! Oui je sais, ça le fait pas trop mais c’est mon nom, c’est comme ça. La perfection a un nom et c’est le mien ! Pour une fois que ça tombe sur moi.
Les médecins et les officiers supérieurs ne trouvant pas plus que les civils le gène ou la molécule qui caractérisait mon état, et ne pouvant donc pas « créer » leur soldat ultime, la perfection fut rapidement rendue à la vie civile.
Revers de la célébrité, tout le monde s’est mis à fouiller dans ma vie pour essayer de savoir ce qui avait pu m’arriver.
Comment un simple prof d’histoire avait-il pu développer de telles capacités ? Avais-je grandi près d’une centrale nucléaire et avais-je été soumis à des radiations ? Avais-je été victime d’un accident qui aurait pu provoquer un traumatisme crânien et entraîner des modifications dans mon cortex cérébral ?... 
Mes parents qui avaient pris leur retraite quelques années plus tôt et vivaient tranquillement dans un petit village de Provence furent dénichés et assaillis par des journalistes et des scientifiques qui voulaient les soumettre à leur tour à des expériences.

Des femmes se sont présentées chez moi et m’ont ouvertement demandé de leur faire un enfant. Enfant qui serait certainement doté de la même caractéristique que moi. Il pourrait donc étudier deux à trois fois plus que les autres. Soutenu par des professeurs triés sur le volet, il deviendrait à n’en pas douter un surhomme intellectuel, promis à un avenir exceptionnel et peut-être même prêt à prendre en mains la destinée du pays !
Des « copains », sans doute en mal d’argent, se sont précipités sur leurs archives perso, puis chez les journalistes pour faire circuler des photos et des vidéos de moi plus jeune.
«... On remarque sur ces images que M. Durable présente dès son adolescence un front large qui est représentatif des anxieux chroniques qui peuvent souffrir de problèmes de sommeil. On peut avancer sans trop se tromper, que ses troubles ont pu apparaître vers cette période, sans que lui-même s’en rende vraiment compte... »
On remarque surtout sur ces images, qu’à vingt ans à peine j’avais déjà commencé à perdre mes cheveux, et que c’est à cause de ça que je semble avoir un « front large » ! Andouille !

Et les vidéos ont commencé à tourner sur internet. Elles ont été reprises, détournées, parodiées. J’avais le sentiment d’être partout. Youtube, réseaux sociaux... Tout le monde se foutait de moi en permanence.
Les gens dans la rue ne me demandait plus d’autographes ou de selfies, ils me filmaient juste pour pouvoir ensuite poster leur film en y ajoutant des bruits ou des dialogues censés être drôles.
Mes amis ont commencé à se fatiguer d’être suivis à leur tour, et je les ai vus de moins en moins souvent. Après une agression où un homme s’est rué sur moi en m’accusant de détourner la jeunesse des vraies valeurs en voulant l’empêcher de dormir pour chercher à l’entraîner dans la perversion, je suis resté cloîtré chez moi.

J’ai résilié mon abonnement internet et jeté mon ordinateur par la fenêtre. J’ai coupé avec un ciseau le câble d’alimentation de ma télévision. Je suis allé dans ma salle de bains, et j’ai rassemblé tous les médicaments que je trouvais. Je les ai avalés les uns après les autres à grands coups de verre d’eau, et je suis allé m’allonger sur mon lit. Après quelques minutes on a sonné à ma porte. 

Quand j’ai ouvert je me suis retrouvé face à M. Sardini, mon chef d’établissement, qui m’a brusquement attrapé et a commencé à me secouer.
— Durable, Durable, vous m’entendez ?
C’est à ce moment-là que je me suis réveillé. Quelques profs me regardaient en ricanant. M. Sardini me secouait l’épaule.
— Durable, excusez-moi mais vous allez encore être en retard pour votre cours.
Je me levais d’un bond, en me passant la main sur le visage et le front.
— Je suis désolé...
Je regroupai mes affaires, et ramassais mes lunettes tombées à terre pendant ma « sieste ».
— Vous êtes allé voir le médecin dont je vous ai parlé pour vos troubles narcoleptiques, François ? Faites attention à vous, vous ne tiendrez pas longtemps à ce rythme, on a tous besoin d’un sommeil régulier !
En sortant j’entendis Longbrun, qui est petit et blond, parler en rigolant avec une collègue.
— T’imagines le reportage, « l’homme qui dort tout le temps » ! On pourrait leur filer la vidéo prise en réunion de profs la semaine dernière ! Je suis sûr qu’elle aurait un succès fou...
Je remontai le couloir vers ma classe au pas de gymnastique alors qu’une sueur froide me couvrait le corps. Rêve, cauchemar, réalité, tout se mélangeait. J’étais trempé.
Peut-être allais-je faire cours à une classe d’otaries ?
Je poussais la porte...